10 abril 2024

Une mutuelle en période d'insécurité

"C'est maintenant que le risque financier d’une maladie devient encore plus grand et le soutien de la mutuelle encore plus important." C'est Sylvie Kabuya Feza, coordinatrice provinciale du CGAT (*) dans le Nord-Kivu, en République démocratique du Congo, qui prend la parole. Nous avons également échangé avec Augustin Mapendo Ndaliko, qui travaille comme médecin conseil pour la mutuelle de santé MUSOSA, active dans les régions de Beni et de Butembo, aussi au Nord-Kivu.

Quelle est exactement la mission que le CGAT assume ? Comment travaillez-vous avec les mutualités ?

Nous sommes une organisation nationale qui travaille avec des mutuelles de santé, de manière bilatérale et en réseau. Cela nous permet de mettre en place une vision et une approche stratégiques qui construisent un système de santé bien développé et une protection sociale pour l'ensemble du pays. Dans ce cadre, nous préconisons également un rôle important pour les mutuelles. Nous estimons essentiel que la population elle-même puisse contribuer à façonner l'approche de la santé, ce qui est possible par le biais d'une organisation mutuelle de santé.

En Belgique également, nous entendons parler dans l'actualité de l'insécurité et de l’incertitude auxquelles sont confronté?es quotidiennement les civils dans l'est du Congo (**). Quel impact cela a-t-il sur votre travail ?

Sylvie : On observe des effets de deux manières. Premièrement, l'intensification du conflit crée d'autres besoins en matière de santé et de soins. Nous voyons des coups et des blessures liés à ces violences, et aussi une malnutrition aiguë, surtout chez les enfants. Certaines maladies sont désormais plus fréquentes.

Augustin : Nous constatons également d'autres besoins en matière de santé mentale, que nous avons désormais intégrés dans notre offre de base. Nous avons ouvert des centres de nutrition et mis en place des cliniques mobiles pour les réfugiés. Un problème structurel est le viol utilisé comme arme de guerre, qui fait beaucoup de dégâts chez les femmes victimes et nécessite également une prise en charge spécifique.

Sylvie : A côté de cela, le fonctionnement habituel des mutuelles de santé est perturbé. La situation sécuritaire actuelle entrave des activités telles que le suivi administratif des remboursements des membres dans la ville assiégée de Goma, ou des actions de sensibilisation autour de l'importance des mutuelles de santé dans les régions sanitaires proches des lignes de combat. L'insécurité a également créé une crise économique, laissant de nombreux membres dans l'incapacité de payer leurs cotisations. Cela nécessite également une approche différente de notre part. Nous devons nous organiser de manière à ce que les personnes en fuite puissent adhérer à la mutuelle de santé tout au long de l'année, sans période d'essai. Malgré les défis, nous avons décidé de continuer à travailler : c’est en pareil moment de crise que le risque financier d’une maladie devient encore plus grand, et le soutien d’une mutuelle est dès lors encore plus important.

Augustin : Il en va de même pour nous. Nous continuons notre travail, en espérant une amélioration. Une mutualité construit activement une culture de la solidarité dans sa communauté. C'est là que se construit une base solide pour un avenir meilleur.


(*) Le CGAT, c'est le Centre De Gestion Des Risques Et D'accompagnement Technique Des Mutuelles De Santé : cette organisation appuie et coopère donc avec les mutuelles de santé de la province. 

(**) La population congolaise de l'Est du Congo vit dans un contexte d'insécurité grave depuis 30 ans, avec les violences de groupes armés qui sévissent dans ces régions. Les raisons de ce conflit et de cette insécurité sont diverses et complexes, mais les richesses foncières du Congo y sont pour beaucoup. Depuis plusieurs années, le conflit dans la province du Nord-Kivu s'est encore intensifié, faisant des victimes parmi les habitant?es de Beni, Butembo et Bunia. Plusieurs milliers de personnes ont été tuées, des maisons ont été brûlées et les gens ont dû abandonner leurs biens. Depuis la fin de l’année 2023, le groupe armé M23 - soutenu par des gouvernements étrangers - a mené une offensive qui l'a fait avancer encore plus loin vers les villes de Sake et de Goma. Cela a contraint encore plus d'habitant?es à fuir vers Goma. Environ 800 000 personnes se trouvent maintenant dans des camps de réfugié?es autour de Goma. À cela s'ajoute l'insécurité alimentaire, car les routes entre les régions agricoles et les grandes villes ne peuvent plus être empruntées. Une estimation prudente parle de 6 millions de morts pour ce conflit multiforme qui dure depuis 30 ans.

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