Samy, fondateur et directeur du mouvement indien AREDS, était à Paris dans la délégation de la société civile à la conférence internationale sur les changements climatiques, la COP 21. Selon lui, les mesures drastiques de sécurité prises en France et les barrières mises aux représentants de la société civile pour intervenir dans les négociations décrédibilisent fondamentalement le processus en cours. Les intérêts des compagnies privées également.
Il vient du Tamil Nadu, en Inde du Sud, où il mène depuis près de 30 ans un projet ambitieux de développement et d’émancipation des plus pauvres… Mardi 8 décembre, nous avions l’honneur de recevoir à Bruxelles Mr L. A. Samy, directeur et fondateur d’AREDS (Association of Rural Education and Development Service), un réseau indien de mouvements sociaux actif depuis 1980 dans l’état indien du Tamil Nadu, dans le sud de l’Inde.
“ Notre objectif premier ? C’est l’essentiel : construire une seule et belle humanité, libérée de l’oppression, de la pauvreté, de l’injustice. Une humanité où nous ne serions pas divisés par la religion, la langue, une caste, et tous ces systèmes qui nous déchirent. C’est incroyable de voir ce qu’on peut faire quand les gens se rassemblent et s’organisent ! »
AREDS travaille surtout avec les plus pauvres des campagnes : avec les enfants, les femmes, les « intouchables » (un groupe d’individus exclus du système des castes) dans près de 700 villages. Ce mouvement de base travaille à partir de la conviction que l’éducation et l’organisation des plus pauvres et des exclus peut changer le monde. « Le développement commence avec des échanges, pour petit à petit dépasser chacune des petites îles de nos quotidiens d’homme pour regarder plus loin, plus grand, l’ensemble, et réaliser que nous ne sommes qu’un monde. »
A l’image de Vandana Shiva, une autre militante écologiste indienne, il remet en cause fondamentalement les résultats qu’on peut attendre d’une telle « grand messe » sur les changements climatiques.
« Les mesures drastiques de sécurité prises en France et les barrières mises aux représentants de la société civile pour intervenir dans les négociations décrédibilisent fondamentalement le processus en cours. Et l’influence des intérêts des grands acteurs économiques est telle qu’elle nuit aux résultats qu’on peut attendre des discussions. On a plus l’impression que le système capitaliste essaie de récupérer la problématique des changements climatiques à son avantage, en créant de nouveaux marchés à conquérir ! (marché du carbone, marché des nouvelles technologies « vertes ») Quand on sait que le mot « énergie » n’est pas évoqué une fois dans le texte négocié, on peut se poser des questions sur la force des décisions qui vont être prises à Paris et la réelle prise en compte de la menace qui pèse »
Cela fait 3 semaines qu’il pleut sans arrêt dans l’état du Tamil Nadu, d’où vient Samy. Des pluies torentielles qui ont complètement inondé la ville de Kerala, parfois jusqu’au deuxième étage de certains bâtiments... Une catastrophe comme on ne l’avait plus vue depuis un siècle, causée à la fois par les changements climatiques, mais aussi par la main de l’homme, car la corruption et les copinages ont provoqué des aberrations au niveau immoblier, comme des quartiers résidentiels construits sur des lacs.
Dans les campagnes, en Inde, il devient aussi de plus en plus difficile de prévoir les saisons. Pas de pluie, trop de pluie... Cette situation est critique pour assurer la subsistance de ceux qui vivent des fruits de la terre.
En Inde, les femmes n’ont pas de caste comme les hommes. Elles appartiennent à la caste de leur père, puis de leur mari… C’est une société patriarcale, où l’homme domine. Cela se reflète dans l’agriculture, où 90% du travail dans les champs est réalisé par les femmes. Le changement peut donc venir des femmes : dans le mouvement AREDS, l’organisation SWATE se consacre essentiellement à renforcer les femmes en leur faisant prendre conscience de leurs droits, pour dépasser les rapports de domination qui mine la société indienne.
Dans les discussions de la société civile à la COP 21, Samy a pu constater que la présence d’un nombre grandissant de femmes a changé aussi la façon d’aborder le plaidoyer. Aujourd’hui, la société civile a des arguments de plus en plus construits, basés sur des faits, irréfutables, et ne table plus uniquement sur l’appel émotionnel.
Samy connait bien Pierre Rabhi , avec qui il partage la conviction que face aux bouleversements environnementaux causés par l’action de l’Homme, nous avons besoin d’une nouvelle éthique de vie. Samy est actuellement impliqué dans l’écriture d’un livre « Chemins d'économie humaine », où il tente, avec des acteurs des 5 continents, de semer les graines des possibles en montrant des initiatives pour reprendre le contact.
« Nous avons perdu notre relation organique à la Terre. On ne sait plus qui produit ce qu’on mange, ni comment… On consomme sans réfléchir, sans considérer la nature comme ce qu’elle est, notre Terre-Mère, avec ses limites. Tant qu’on n’aura pas repris le contact avec les forces naturelles, nous ne pourrons éviter de grandes catastrophes pour les prochaines générations. C’est notre responsabilité !»