En 2023, l’ONG du MOC, WSM, a réalisé, en la personne de son coordinateur de programmes pour l'Afrique de l'Ouest, deux voyages au Burkina Faso. L’ONG a pu prendre toute la mesure d’un pays en proie à une violence djihadiste extrême, aux exactions commises sur les civils et à une situation sanitaire catastrophique. Mais un pays, qui, comme en témoignent nos organisations partenaires sur place, fait preuve de courage et de créativité dans la tourmente.
Le Burkina Faso, avec ses 274 200 kilomètres carrés, est enclavé au cœur de l'Afrique de l'Ouest. Le pays partage ses frontières avec le Mali, le Niger, le Bénin et au sud, le Togo, le Ghana et la Côte d'Ivoire. Le pays est divisé en 13 régions, chacune avec ses spécificités géologiques, mais ce sont les régions-frontières avec le Mali, le Nord, le Sahel, les Hauts Bassins et les Cascades, et le centre, le centre-Nord, le centre-ouest, qui sont le plus frappées par l’insécurité. (Voir carte du Burkina Faso)
Depuis 2015, la population burkinabè subit les attaques meurtrières de groupes armés islamistes alliés à Al-Qaïda et à l’Etat islamique : attaques de villages, de points de ravitaillement en eau et de sites aurifères artisanaux, pillages de marchés et de centres de santé…jusqu’ à l’enlèvement de civils et aux viols de femmes et de jeunes filles.
Les deux groupes terroristes s’adonnent par ailleurs à des luttes fratricides et à de la contrebande, particulièrement dans les régions du Sahel et du Centre-Nord. En 2022, les attaques meurtrières des groupes islamistes se sont intensifiées, exacerbant la crise humanitaire du pays. Or, on le sait, ces groupes extrémistes s’abreuvent à des sources de financement transnationales, provenant d’activités autant illicites que légales. Par ailleurs, leur façon de collecter et de faire circuler les fonds change sans cesse, ce qui demande une adaptation constante des autorités.
Dès lors, devant l’impuissance du gouvernement à faire face à une crise sécuritaire sans précédent, les militaires ont renversé, lors du coup d’état de janvier 2022, le président, Roch Marc Christian Kaboré. Faisant place à un régime militaire.
Mais le nouveau gouvernement n’a pas non plus réussi à endiguer l’insurrection des groupes islamistes, ni à mettre fin aux déplacements des populations. En septembre 2022, près de 40% du pays était assiégé par des groupes armés non-étatiques. Une situation explosive, berceau d’un nouveau coup d’Etat. Toujours par des militaires, qui sous le couvert de la lutte antiterroriste ont instauré des mesures parfois contestées comme l’interdiction de manifestations, la limitation des activités des partis politiques…
Entre atrocités commises dans les zones d’insécurité et recul de la démocratie, la population burkinabè est devenue méfiante mais garde espoir que les nouvelles autorités militaires pourront mettre fin à cette situation.
Selon le rapport du 30 août 2023 de l’UNOCHA (United Nations Office for the Coordination of Humanitarian Affairs) et le rapport mondial 2023 de Human Rights Watch, cette crise sécuritaire aiguë a entraîné le déplacement interne de près de 2,1 millions d’habitant·es, dont environ 52% sont des enfants. Une stratégie apparemment voulue par les Islamistes radicaux afin de prendre le contrôle d’une partie du territoire burkinabè et d’accéder aux ressources naturelles. Des ressources qu’ils exploitent afin de financer en partie leurs actions.
Si l’on prend le mois de juin 2023, il a, à lui seul, connu 38.000 déplacé·es internes dans la région du Nord et 24.000 dans la région du Centre-Nord.
En effet, pour des raisons de sécurité, certaines zones sont devenues dangereuses ou inaccessibles pour les Burkinabès.
Toujours selon le rapport d’août 2023 du Bureau de la Coordination des Affaires Humanitaires des Nations Unies, on décompte 6.100 écoles fermées au 31 mai 2023, touchant 1 million d’élèves. La majorité dans le Centre-Nord, le Nord et le Sahel. Et près de 375 formations sanitaires ont fermé, affectant un peu plus de 3 millions de personnes – ou encore des activités agricoles, artisanales ou commerciales. Et nombre de routes sont devenues inaccessibles. L’aide humanitaire de base, en ces temps troubles, est devenue à haut risque au Burkina Faso.
Enfants déscolarisés, déplacés dans des camps ou dans la rue, ou sans encadrement... ils et elles sont le symbole d’une population burkinabè en souffrance et précarisée. Sans parler de la dengue qui a sévi en octobre de cette année.
Une situation générale qui présage de grandes famines dans les années à venir.
Le coordinateur programmes de WSM, l’ONG du MOC, témoigne de la force et de la ténacité dont font preuve les quatre organisations partenaires burkinabè avec lesquelles WSM collabore depuis de nombreuses années. Ce sont : le Réseau national multi-acteurs (INSP! R-Burkina Faso) qui développe des actions de plaidoyer sur le droit à la protection sociale, la CNTB?(Confédération Nationale des Travailleurs du Burkina Faso), le RAMS (un réseau d’appui aux mutuelles de santé) et la MUFEDE?(Mutualité Femmes et Développement, une coopérative d’épargne et de crédits – institution de microfinance).
Le sens des mots «espoir» et «avenir» prend toute sa force avec ces mouvements !
La MUFEDE accompagne, avec les syndicats et les mutuelles de santé, des femmes battantes qui ont des activités génératrices de revenus. Il s’agit d’une synergie d’appui pour une meilleure protection sociale destinée à sensibiliser et affilier ces femmes aux mutuelles de santé et veiller à la défense de leurs droits. En effet, grâce à leur activité financée par un micro-crédit, ces femmes, le plus souvent actives dans le secteur informel, peuvent payer leur cotisation à une mutuelle et leur adhésion à un syndicat afin de s’informer sur leurs droits.
Malheureusement, ces activités sont freinées par la situation sécuritaire?: dans le Centre-Nord, près de 2 millions de personnes sont déplacées et n’ont dès lors plus accès à leurs activités comme avant, et donc à leurs revenus, leurs crédits et leur couverture sociale. Avec pour corollaire le risque de non-remboursement de crédits dans les zones d’insécurité ou le ralentissement de l’adhésion aux mutuelles et aux syndicats. Les populations gèrent d’abord leur quotidien, incertain, avec des revenus faibles et insuffisants au regard de leurs besoins.
Pour exemple, le réseau des mutuelles de RAMS, qui couvre certaines régions où règne l’insécurité, connaît un recul de ses mutuelles soit parce que la population a été déplacée ou parce que des centres de santé ne fonctionnent plus. Par ailleurs, il devient plus difficile de regrouper et sensibiliser les populations car elles sont alors une cible facile des Djihadistes.
A cette question, la réponse est claire. «Non. Il faut identifier les zones où les résultats sont possibles aujourd’hui. Notre manière d’intervenir dans certaines zones n’est plus adaptée et, dans ces régions sous forte insécurité, il faut laisser travailler les autres organisations humanitaires. Notre objectif est donc de rester là où notre travail est possible et d’accepter le changement de cap, de proposer également des services adaptés et limités aux mutualistes déplacés. Poursuivre le travail en soins de santé et à une protection sociale, et la lutte contre la radicalisation et l’extrémisme via les syndicats burkinabè.»
Sans tabou et en toute clairvoyance.
Abandonner n’est pas une solution en ces temps troublés, s’adapter, oui !
Auteur : Adrienne Legrand, WSM