Début du mois d’avril, nous avons eu l’immense plaisir de recevoir Maria Eralyn L. Tangal, alias Lovely, de l’Alliance of Health Worker (AHW) aux Philippines, partenaire de WSM depuis 2009. Invitée à intervenir lors de la Semaine Sociale du Mouvement Ouvrier Chrétien sur la crise des soins de santé aux Philippines, sa venue fut aussi l’occasion de s’enrichir mutuellement sur les luttes sociales communes au travers de différentes rencontres sur le terrain. Retour sur cette semaine inspirante.
Lors de la Semaine Sociale du MOC, Lovely a présenté son organisation. Depuis plus de 30 ans, celle-ci est en première ligne dans la lutte pour de meilleurs droits du travail, des salaires décents et pour l’accès à la protection sociale pour les travailleur·euses de la santé aux Philippines. Elle représente plus de 27.000 travailleurs et travailleuses (médecins, infirmiers·ères, etc.) dans des hôpitaux et des centres médicaux, principalement publics, mais aussi privés.
L’AHW œuvre dans un contexte où l’espace civique se rétrécit constamment avec une répression brutale des manifestations publiques et des lois répressives. Les droits humains et collectifs sont bafoués au nom de la lutte contre le trafic de drogue, initiée par l’ancien Président Rodrigo Duterte, entraînant une omniprésence du “red-tagging” : cette pratique, héritée de la guerre froide, consiste à signaler un individu ou une organisation – souvent critique du gouvernement – comme communiste ou terroriste. Cette personne est ensuite harcelée, et parfois même, assassinée. En 2021, l’AHW a été mise sur cette liste lors de la pandémie mondiale du Covid-19, pour avoir lancé sa campagne Health Worker’s life matter (“la vie du personnel soignant compte”) alors qu’elle demandait de meilleurs équipements pour le personnel des hôpitaux et que le pays se classait au premier rang du taux de mortalité des professionnel.les de la santé au monde.
La rencontre avec Françoise Vervoort de la Mutualité Chrétienne a permis de rendre compte du rôle crucial que joue les mutuelles dans la coopération et la solidarité en tant qu’organisation démocratique basée sur l’entraide.
L’AHW promeut également le droit de chaque Philippin·e – en particulier des plus vulnérables – à des soins de santé de qualité. Ses actions se concentrent sur la syndicalisation et l’organisation du personnel des établissements médicaux, la sensibilisation du public et des travailleur·euses de la santé à la nécessité d’offrir des soins de santé de qualité à toute la population philippine, la négociation de meilleures conditions de travail avec la direction des hôpitaux, l’opposition à l’utilisation de contrats de travail à court terme pour les travailleur·euses de la santé, et la lutte contre la privatisation des hôpitaux publics.
En rencontrant des infirmier.ières et délégué.es syndicaux, Lut Cromphout d’ACV Puls à AZ Jan Portaels à Vilvoorde ainsi que Evelyn Magérat et Giuseppe Tirone de la CNE Non-Marchand du CHU Saint-Luc à Bruxelles, nous nous sommes rendu compte des défis communs auxquels le secteur des soins de santé est confronté en Belgique et aux Philippines, même si ce n’est pas à la même échelle : le secteur est en pénurie, les salaires sont trop bas et inégaux, les horaires interminables, ce qui entraîne une opposition et des frictions entre le personnel et les directions, et parfois entre le personnel lui-même. 
Par exemple, les infirmières qui peuvent faire des heures supplémentaires de manière indépendante, bénéficient des meilleurs horaires et d'une meilleure rémunération. Les heures de travail les plus pénibles sont celles du personnel permanent. Aux Philippines, “les infirmières ont des shifts de 24h sans presque aucune pause, et le ratio est de 1 infirmière pour 250 patient·es dans un hôpital psychiatrique, par exemple. C’est intenable.”, explique Lovely. “On a eu le cas d’un patient, qui est resté 5 ans à l’hôpital à cause du manque d’équipement et du personnel, vous imaginez ?”
Les Philippines occupe la 5ème place des pires endroits au monde pour les travailleurs et les travailleuses, selon la Confédération Syndicale Internationale. Lovely a partagé cette triste réalité avec des fonctionnaires européen·nes du Service européen pour l’action extérieur (SEAE), en charge de la politique étrangère de l’UE. Malgré les nombreuses violations de droits humains aux Philippines, cela n’a pas empêché la Commission européenne de rouvrir les négociations (suspendues en 2017) au sujet d’un accord de libre-échange, estimant le nouveau Président philippin plus ouvert à l'égard de l'UE et des États-Unis. Les enlèvements sont en hausse, et les informations sur les exécutions extrajudiciaires des syndicalistes et des activistes sont difficiles à obtenir. Or “il est du devoir de l'État de protéger ses citoyen.nes et il ne le fait pas”, a rappelé Lovely.
Ce fut notamment l’occasion aussi de rencontrer des activistes philippines, Sarah, Sam et Marian de la Ligue des Travailleuses Domestiques et Eva Jimenez de la CSC Bruxelles qui militent pour de meilleures conditions et un accès légal au travail en Belgique. Leurs témoignages ont illustré les difficultés quotidiennes auxquelles elles, mais aussi des milliers d’autres femmes migrantes, sont confrontées : elles n’ont droit ni à une assurance santé, ni au congé de maladie, ni à un salaire décent. Leur travail et leur rôle dans la société ne sont pas reconnus alors qu’elles sont essentielles et pallient une pénurie structurelle dans un secteur largement sollicité par des milliers de ménages.
Travail et salaire décents, accès à la protection sociale, des soins de santés abordables, le droit de s’organiser syndicalement, sont autant de luttes communes que les mouvements sociaux d’ici et là-bas œuvrent à faire ensemble.
WSM tient à remercier toutes les personnes qui se sont impliquées et se sont rendues disponibles pour rencontrer Lovely de l’AHW, rendant cette semaine riche en rencontre et en espoir.
