Tout comme le virus, les informations sur le COVID-19 et les mesures politiques possibles se propagent rapidement. De grandes institutions comme la Banque mondiale, le FMI et l'OIT se démènent pour fournir un soutien adéquat et des conseils politiques. Il vaut la peine d'examiner de plus près les recommandations de ces institutions.
Le coronavirus a commencé à se propager dans le monde entier dès le début de 2020. Le 11 mars, l'OMS a déclaré que l'épidémie était une pandémie, en précisant qu'elle était non seulement profondément préoccupée par la maladie elle-même, mais également par les « niveaux alarmants d'inaction ». En effet, il a fallu un certain temps aux gouvernements nationaux et aux institutions internationales pour prendre conscience de la menace.
L'OIT a mentionné le passage du COVID-19 assez tôt en 2020, en soulignant les effets négatifs sur l'emploi des jeunes en Asie. Mais en général, les premières recommandations COVID-19 ne prévoyaient pas encore les conséquences catastrophiques. Alors que les fermetures nationales commençaient lentement à freiner l'économie mondiale, l'OIT a publié son premier rapport concernant les répercussions de la maladie sur le monde du travail et les réponses politiques correspondantes (18 mars). Le rapport prévoyait une récession économique mondiale, mais restait assez « optimiste », en n’envisageant une augmentation du chômage mondial « que » de 5,3 à 24,7 millions d'emplois perdus (ETP). Ce rapport se penchait déjà sur le travail indépendant (informel) – généralement une option « par défaut » moins impactée par les ralentissements économiques et qui permet de survivre en temps de crise – en se demandant s’il parviendrait à résister à cette crise particulière. Quoi qu’il en soit, l’OIT prédisait déjà une augmentation de la pauvreté au travail en raison des mesures sévères de confinement.
Alors que la pandémie continuait de se propager, les estimations de l'OIT concernant le chômage mondial sont devenues plus pessimistes : le 29 avril, l'OIT calculait que l'économie mondiale pourrait perdre jusqu'à 305 millions d'emplois à temps plein. Dans ses notes d'orientation, l'OIT accorde de plus en plus d'attention aux personnes les plus touchées : les femmes, les travailleurs informels, les travailleurs indépendants et les secteurs économiques les plus durement touchés. Pour les 1,6 milliard de travailleurs touchés de l'économie informelle, l'OIT prévoit des pertes de revenus pouvant atteindre 80%. Les femmes, qui représentent déjà la plus grande partie des travailleurs informels, sont désormais confrontées à encore plus de difficultés car elles sont surreprésentées dans les secteurs les plus touchés : l'hébergement et l’alimentation, les soins de santé, etc. Environ 70% des emplois dans les soins de santé sont occupés par des femmes, si on inclut les travailleurs sociaux, la blanchisserie, le personnel de nettoyage… Ces femmes font non seulement face à des difficultés économiques et à davantage de tâches domestiques chez elles, mais elles courent également un plus grand risque de contracter le COVID-19.
D'une manière générale, l'OIT propose quatre piliers clés pour la réponse politique à cette crise :
1. Stimuler l'économie et la demande de travail, à travers une politique budgétaire et monétaire active, des prêts et un soutien financier à des secteurs spécifiques, etc.
2. Soutenir les entreprises, les emplois et les revenus ; notamment en étendant la protection sociale pour toutes et tous, en combinaison avec le maintien de l'emploi et des allégements financiers / fiscaux pour les entreprises, etc.
3. Protéger les travailleurs sur le lieu de travail : télétravail, EPI (équipement de protection individuelle), accès à la santé pour tous, congés payés, etc.
4. S'appuyer sur le dialogue social pour trouver des solutions, par le renforcement des capacités, la négociation collective, etc.
Dans des recommandations politiques spécifiques, l'OIT soutient toujours une réponse du marché, comme recommandé dans la deuxième édition du rapport de l’Observatoire de l’OIT : « Ces efforts peuvent être utilement étayés par des régimes commerciaux ouverts, des marchés boursiers internationaux stables et l’existence de liquidités au niveau mondial. » Mais plutôt que de voir cela comme un « remède miracle », le cadre général de la réponse à quatre piliers montre que l'OIT est déterminée à placer l’humain au premier plan, dans une approche fondée sur les droits. En raison de sa structure tripartite et de l'accent mis sur le dialogue social, l'OIT a toujours considéré que l'avantage à long terme des travailleurs était plus important que les gains du marché. Depuis des années, les syndicats du monde entier utilisent le dialogue social pour conclure des accords essentiels sur les congés de maladie, les pensions et d'autres mesures de protection sociale.
Mais une approche fondée sur les droits qui place l'humain au centre ne se limite pas au dialogue social entre les partenaires sociaux. Il s'agit d'inclusion, de ne laisser personne de côté. L'OIT reconnaît non seulement les communautés les plus durement touchées, mais exige également activement leur inclusion dans la recherche de solutions. Elle affirme que les initiatives locales et communautaires peuvent fonctionner rapidement et répondre à des besoins spécifiques. L'OIT montre qu'elle est ouverte à la participation d'autres acteurs sociaux. Les membres du Réseau pour le droit à la protection sociale (RDPS) montrent qu'il existe de nombreuses façons pour la société civile d'agir et de contribuer à des solutions. La situation est trop extrême pour attendre que les gouvernements et les institutions internationales au-delà de l'OIT invitent les syndicats et les mouvements sociaux à contribuer à la recherche de solutions à leur niveau. Les membres du RDPS prennent les choses en main, notamment en donnant des recommandations au Premier ministre indien, en exigeant qu’on tienne compte des personnes âgées, en mettant en avant les inégalités de genre… Au-delà de la crise, les partenaires du Réseau réclament aussi un changement systémique à long terme !
En réponse au COVID-19, la Banque mondiale (BM) a ouvert son Mécanisme de financement d'urgence en cas de pandémie (PEF), qui a été lancé en 2017. Malheureusement, ce programme a longtemps été critiqué comme étant trop lent et compliqué : les fonds ne sont disponibles qu’à partir d’un certain nombre de cas, de décès et de pays touchés, rendant impossible son utilisation à titre préventif.
Comme l'ont souligné de nombreux observateurs, la crise mondiale actuelle survient alors que la BM défend depuis des décennies les « PPP » ou partenariats public-privé. Il s'agit d'un outil important pour la commercialisation des soins de santé et la réduction des dépenses sociales qui limite l'efficacité et l'inclusivité des systèmes de soins de santé. L'approche de la BM au cours des dernières décennies est bien sûr également étroitement liée aux plans financiers du FMI, qui ont longtemps plongé les pays du Sud dans un cycle de dette et de désespoir. Les effets destructeurs d'un démantèlement et d'une limitation des mesures de protection sociale pendant une décennie, au nom du service de la dette et du libre-échange, deviennent désormais visibles. Le fait que ces mêmes organisations promettent désormais des milliards de dollars pour soutenir les efforts de secours n'annule pas les années de sous-financement systémique des soins de santé et de la protection sociale. En outre, bien que la société civile et la CNUCED demandent instamment aux institutions d'annuler la dette, le FMI et la Banque mondiale ne proposent actuellement qu'une suspension de la dette, moins efficace.
Pour aider à comprendre et à étudier les différentes approches de la pandémie, la Banque mondiale a commencé à publier un aperçu hebdomadaire des mesures nationales sur la protection sociale et les réponses au COVID-19 dans le cadre du travail. À la date du 22 mai, 190 pays avaient planifié, introduit ou adapté 937 mesures de protection sociale. Ces mesures se répartissent en 3 catégories : programmes au niveau de l’assistance sociale, de l'assurance sociale et du marché du travail. Les rapports ne se penchent pas sur les mesures sanitaires et omettent donc un aspect important. Bien qu’étant une source précieuse d'informations, ces rapports ne détaillent pas non plus les effets réels des mesures : par exemple, quel est leur degré de réussite ? Les mesures atteignent-elles les populations ciblées ? Y a-t-il eu des critiques au niveau local (par exemple de la part de grands groupes de la société civile) ? Cette omission indique un manque d'attention plus large au dialogue social dans les recommandations de la Banque mondiale.
Comme on pouvait s'y attendre, la BM voit la solution aux défis de cette pandémie dans la facilitation des échanges (flux). Bien entendu, elle n'ignore pas les inégalités face au virus à l'échelle mondiale et entre les différents groupes (âge, sexe, etc.) Elle préconise donc également une compensation de la perte de main-d’œuvre, des programmes de soutien du revenu, etc. Cependant, les programmes de sécurité sociale et la plupart des autres solutions de la Banque mondiale sont des pansements sur un système fondamentalement brisé. L'objectif spécifique de ces programmes est de soutenir les personnes en situation de pauvreté grâce à des solutions ciblées, telles que des transferts monétaires temporaires.
Bien que louables et nécessaires en temps de crise, la plupart des programmes de protection sociale mis en œuvre actuellement ne parviennent pas à résoudre les problèmes à long terme. La pauvreté, les travailleurs non protégés, le manque de soins de santé et les inégalités face aux difficultés ne sont pas nouveaux. En tant que Réseau pour le droit à la protection sociale, nous pensons que la seule vraie solution est un changement systémique ! La protection sociale est un moyen permanent de protéger des sociétés entières, pas seulement les personnes extrêmement pauvres, et de prévenir la pauvreté. Pourquoi certaines personnes âgées ne reçoivent-elles qu'une pension de subsistance ? Pourquoi ne soutient-on les femmes que maintenant qu'elles sont à l'avant-poste de la lutte contre un virus mortel ? Pourquoi ne protège-t-on pas en permanence les travailleurs contre les politiques injustes de l'entreprise ? Non seulement, cela donnerait accès aux gens à des soins de santé de qualité, une pension, une sécurité sociale et d’autres mesures de protection, mais les sociétés seraient également plus sûres et plus résilientes en cas de pandémies futures ou autres catastrophes ! Des institutions de santé plus solides sauveraient plus de vies. Les gens ne seraient plus obligés de sortir et de travailler pour survivre, la maladie se propagerait beaucoup plus lentement. Ces solutions ne sont ni farfelues, ni hors de prix ; de nombreux pays ont déjà établi l’un ou l’autre type de protection sociale : contributive ou non, ou une combinaison des deux.
La protection sociale universelle et solidaire n'est pas seulement la meilleure solution à la pandémie actuelle, elle est aussi la plus juste. Car ce sont les épaules les plus fortes qui devraient porter le fardeau le plus lourd. Profitons de cet élan pour apporter un vrai changement au lieu de reprendre les bonnes vieilles habitudes. En tant que RDPS, nous voulons transformer radicalement le modèle économique actuel de croissance et de production perpétuelles, non seulement dans l'intérêt des travailleurs, mais aussi dans celui de notre planète.