3 avril 2025

Au Burundi, des mutuelles de santé communautaires pour rendre les soins de santé accessibles

Comment permettre aux populations travaillant de manière informelle d’accéder aux soins de santé alors que l’Etat burundais n’a pas encore proposé une stratégie de financement de la santé permettant la réalisation d’une véritable couverture maladie universelle? La société civile s’organise et propose le développement de mutualités communautaires, véritables leviers pour offrir une vie digne aux populations précarisées trop souvent oubliées.


Christian Ruzobavako est menuisier dans la commune de Bugendana, située à quelques kilomètres à peine de Gitega, la capitale politique du Burundi (centre du pays). Il y a quelques mois, alors qu’il travaillait dans son champ, un de ses taureaux l’a heurté. Blessé, il a réussi à atteindre l’hôpital le plus proche pour s’y faire soigner. « J’avais peur de devoir payer des frais à l’arrivée. Je n’avais pas d’argent sur moi et cela peut s’avérer très onéreux car il faut avancer des sommes couvrant le total des interventions ». Mais heureusement, il était muni de son carnet de la mutualité « MUNASA[1] », qui atteste qu’il en est membre. Grâce à ce précieux sésame, Christian Ruzobavako a pu être pris en charge sans avancer des frais. Il a pu passer des radiographies et être hospitalisé trois jours afin de soigner ses blessures. Un membre de sa famille est venu à la fin du séjour payer le ticket modérateur, limité à 20 % de la somme totale. Le reste étant à la charge de la MUNASA et donc payé grâce aux affiliations et cotisations de l’ensemble des membres. Pour que le système fonctionne, la MUNASA signe des conventions avec des centres de santé et des hôpitaux et redirige ses membres vers ces lieux où ils peuvent bénéficier des soins. « Je suis vraiment content d’avoir adhéré à la mutuelle de santé. Je pensais ne jamais en avoir besoin, mais j’ai eu la preuve qu’un accident ou une maladie peuvent arriver à tout moment dans la vie, surtout quand on s’y attend le moins. Je me sens protégé », ponctue Christian.

Il est membre de la section mutualiste de Kirimbi, une des 73 sections mutualistes communautaires regroupées au sein la MUNASA et qui sont réparties entre le Centre, le Nord et l’Est du Burundi. La présidente de la section, Espérance Girukwishaka, est très fière du bilan affiché par sa section : « L’année passée, nous avons pris en charge 6.000 épisodes (maladies ou accidents) et avons redistribué 21 millions de francs burundais (Fbu) (6700 euros) aux unités sanitaires conventionnées avec la MUNASA ayant pris en charge nos bénéficiaires. Nous dégageons même une réserve qui nous permet d’avoir plus de marge pour cette année 2025 ». De quoi rassurer les 7.000 bénéficiaires qui peuvent ainsi accéder sereinement à un ensemble de soins de santé dont ils ont besoin pour faire face aux risques qu’ils rencontrent tout au long de leur vie.  

Chaîne de solidarité

Les frais d’adhésion unique sont fixés à 1.000 Fbu (30 centimes d’euros) et la cotisation annuelle pour une famille de 2 à 6 personnes s’élève à 30.000 Fbu (10 euros) par an. Pour aider les familles à débourser ces frais, cette section locale soutien la création et accompagne des « groupements de solidarité », qui permettent d’organiser des activités d’épargne et de crédit et d’autres activités génératrices de revenus, comme des petits commerces de produits vivriers. La MUNASA propose également l’octroi de chèvres aux adhérents, via une « chaine de solidarité ». Pour la section Kirimbi, ce sont 30 chèvres qui ont été allouées aux villageois. 30 familles ont pu en bénéficier, avec un système de tirage au sort incluant les ménages disposant d’une capacité de pouvoir entretenir une chèvre. Chaque fois qu’il y a une nouvelle naissance de chèvre parmi les chèvres distribuées, cette dernière rejoint une famille qui n’a pas été tirée au sort précédemment. En quelques années, c’est toute une population qui peut donc bénéficier de fertilisant produits par ces animaux, ce qui permet d’augmenter le rendement de leurs récoltes. Ils peuvent aussi vendre ces fertilisants afin d’en obtenir des revenus. En cas de perte de la chèvre (comme ce fut le cas dernièrement avec une épidémie qui a sévit), la communauté se mobilise afin de réparer le préjudice et en offrir une à la famille. La solidarité reste en effet au cœur des actions et comportements des adhérents aux mutuelles communautaires.

Au total, la MUNASA a distribué 5.381 chèvres auprès de près de 100.000 bénéficiaires depuis le début du projet.

« Nous somme une fédération qui regroupe 73 sections mutualistes. Si l’une des sections est en déficit, ce dernier pourra être épongé par le bénéfice d’autres sections qui se portent mieux, quitte à rembourser plus tard aussitôt que les finances de la section déficitaire seront à nouveau en positif. Les adhérents sont au courant de ce mécanisme de solidarité, car tout est transparent », explique Idesbald Nsabimana, coordinateur national pour la MUNASA. Créée en 1992 grâce au soutien actif des Mutualités Chrétiennes de Belgique par l’entremise de son président, Jean Hallet, l’organisation jouit désormais d’une belle popularité, notamment grâce à l’action des quelque 500 animateurs bénévoles mutualistes qui sillonnent le pays afin de sensibiliser les populations à la création de sections locales. Au départ, ce sont chaque fois une poignée de personnes qui lancent l’initiative de création d’une section, soutenue par la MUNASA. À force de contacts pour les convaincre, d’autres personnes les rejoignent et viennent grossir les rangs de la section mutualiste. Ces sections peuvent parfois atteindre jusqu’à 10.000 adhérents. « Tout le défi résulte bien entendu dans le passage à l’échelle. Nous sommes conscients que nous touchons encore une trop petite partie de la population du pays, qui s’élève à un total de 12 millions d’habitants ».

Les populations informelles laissées de côté

Car l’objectif reste bien de couvrir toute la population burundaise grâce à une couverture maladie universelle (CMU) via le développement d’une assurance maladie obligatoire (AMO). Une seule caisse mutualiste reconnue par l’État et appliquant ce principe existe bien, mais ne touche que les fonctionnaires et les travailleur·euses formalisé·es du secteur public. L’adhésion se fait sur base obligatoire, ce qui permet le bon fonctionnement du système car la certitude de toucher les cotisations sécurise le tout. Mais ces adhérents représentent moins de 10 % de la population. Une mutuelle du secteur formalisé privé existe mais l’adhésion reste volontaire. Le reste de la population qui travaille informellement n’est pas du tout couverte. L’Etat prévoit bien quelques mécanismes de gratuité pour les indigent·es mais rien pour les autres, d’où l’importance du développement des mutuelles de santé communautaires par des mouvements sociaux comme la MUNASA. « Malheureusement, nous n’avons pas de soutien financier de la part des autorités. C’est dommage, car cela permettrait d’augmenter la qualité des soins de santé et nous permettrait de couvrir encore plus de populations. Nous devons continuer à faire du plaidoyer auprès des autorités pour obtenir une loi régissant les mutuelles communautaires de santé afin que nous soyons intégrés dans un système plus global qui permet l’accès à la santé pour tous·tes et ainsi sécuriser notre existence», insiste Idesbald Nsabimana.

Mais sans attendre ces évolutions, la MUNASA et d’autres fédérations de mutualités communautaires ont créé la Confédération nationale des mutualités (CONAMUS[2]). Très pratiquement, un·e adhérent·e qui a un pépin de santé dans un territoire qui n’est pas couvert par sa mutualité mais par une autre fédération membre de la CONAMUS peut ainsi se faire soigner selon les mêmes conditions grâce au mécanisme solidaire de « l’inter-mutualité ».  

« Le fait de regrouper les initiatives mutualistes communautaires nous permet de couvrir la majorité du territoire national. Nous sommes plus forts et nous parlons d’une seule voix quand nous menons nos actions de plaidoyer. Nous sommes légitimes, car nous représentons une frange non négligeable de la population qui aspire à vivre dignement et à jouir de ses droits humains fondamentaux. Nous devons être écoutés ».

Les mouvements sociaux ont toujours été à la base d’innovations permettant aux populations d’accéder à des services de base qui ne peuvent être fournis par l’Etat. La MUNASA l’a bien compris et continue son dur labeur. Un projet est en cours d’élaboration et souligne cette volonté d’offrir toujours plus de protection aux populations : le renforcement de l’approvisionnement en médicaments, qui font cruellement défaut dans le pays et qui sont vendus à des prix trop élevés. Selon la MUNASA, cela pourrait passer par la création d’un réseau de pharmacies permettant leur vente à un prix accessible à leurs affilié·es.

Santiago Fischer, WSM

Foto: een groep mensen na een ledenbijeenkomst van Munasa. Mensen verbinden om samen aan een gezonde en rechtvaardige wereld te bouwen, daar gaat het om! © Santiago Fischer, WSM


[1] Mutuelle nationale de santé, organisation soutenue par WSM et l’Alliance nationale des Mutualités chrétiennes de Belgique

[2] https://conamus.org. Les autres fédérations faisant partie la CONAMUS intègrent notamment des initiatives mutualistes communautaires soutenues par des acteurs belges de la solidarité internationales comme Solidaris, Solsoc et les Mutualités Neutres.

Share


News

EN ES FR NL
Nous découvrir S'informer Agir ensemble Notre réseau Agenda Fais un don

Offres d'emploi Actualités Newsletter Contact